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Un extrait vidéo qui a fait beaucoup parler, on le doit notamment à la « journaliste » A-L Bonnel, qui a instrumentalisé un cours extrait, datant de 2014, d’un discours (beaucoup plus long) du président P.Porochenko dans le but d’introduire son « documentaire » Donbass, tourné en 2015.

Il va s’en dire que cette manipulation grossière est le parfait reflet du contenu global du documentaire montrant des images tournés dans la région du Donbass en 2015.

Comprenez par là que ce ne sont pas les images ou la souffrance révélée dans ce documentaire qui seraient remises en question mais le travail journalistique impartial que le téléspectateur serait en droit d’espérer pour tenter de comprendre le conflit.

Or on découvre une « journaliste » [ne parlant pas la langue russe] baladée par des séparatistes pro-russe [des russes ?] à côté desquels elle recueillera des témoignages « d’habitants » dont on ignorera tout..tantôt agacée voir surmenée devant la caméra au milieu d’un paysage de désolation et de munitions jonchant le sol [c’est la guerre..] tantôt affublant le pouvoir ukrainien des pires crimes sans jamais en donner la preuve..

Avant d’analyser en détail les propos de P.Porochenko, notez que cette manipulation n’est pas récente, elle date de 2014 et le média stopfake.org spécialiste dans la dénonciation de la propagande russe avait déjà fait des articles à ce sujet mais il est possible que nous apportions un regard et des précisions à ce sujet.

Extrait choisi du discours de P-Porochenko

« Nous aurons du travail et eux non ! Nous aurons les retraites et eux non ! Nous aurons les avantages pour les retraités et les enfants, eux non ! Nos enfants iront à l’école et à la garderie, leurs enfants resteront dans les caves ! Parce qu’ils ne savent rien faire. Et c’est comme ça, précisément comme ça, que nous gagnerons cette guerre ! »

          Extrait de la chaine russe Novorossia TV

MàJ – 11-05-2023

A-L Bonnel a semble-t-il choisi de rendre privé sa vidéo dont nous avions mis le lien en ligne. Elle n’est plus visionnable.

L’extrait a également été relayé maintes fois sur les réseaux sociaux et notamment par la voix officielle du Kremlin.

Le « cas » Anne-Laure Bonnel

On remarque le parfaitement alignement entre l’extrait qu’a choisi de diffuser A-L Bonnel dans son « documentaire » Donbass et celui qui a été diffusé dès le 14.11.2014 par 1TV.ru la première chaine d’état russe.

On notera aussi que dans la description de sa vidéo, A-L-Bonnel indique « Discours de Porochenko à la Rada en mai 2014 : « Leurs enfants resteront dans les caves » »

Or le discours complet, depuis lequel cet extrait choisi a été extirpé, s’est tenu à l’Opéra d’Odessa le 23 octobre 2014, une semaine avant les élections législatives, P.Porochenko y présentait son programme « Stratégies-2020 ». Ce n’était donc pas à la Rada (Parlement ukrainien) comme mentionné en titre.

On attendrait d’une journaliste qu’elle soit précise dans ses descriptions et qu’elle vérifie ses sources, surtout lorsqu’il s’agit d’allégations aussi grave.

On constate également le parti pris de la « journaliste » dans le choix du titre de la vidéo « Leurs enfants resteront dans les caves »

Pas très partial, comme si on voulait d’emblée faire passer un message au spectateur, Porochenko a prononcé ses odieuses paroles, ne regardez pas ailleurs..

Dans son documentaire « Donbass » qui commence dès les premières secondes avec cet extrait vidéo, suivent immédiatement les phrases suivantes :

« Décembre 2014, je [A-L.Bonnel] découvre le discours du Président ukrainien Petro Porochenko concernant la population de l’Est de l’Ukraine »

« Je [A-L.Bonnel] quitte Paris le 15 janvier 2015 pour rencontrer les habitants du Donbass et recueillir leur parole. »

Autrement dit, cette « journaliste » souhaite préciser [au téléspectateur] son vif engagement « je quitte Paris le 15 Janvier 2015 », [soit à peine 3 mois après l’allocution tenu à Odessa par Porochenko], et de poursuivre « recueillir la parole des habitants du Donbass » [et faire éclater la vérité au grand jour..]

C’est très émouvant ce sensationnalisme mais est-ce vraiment ce que l’on est en droit d’attendre d’un travail journalistique ?

Qu’elle parte [sur un coup de tête] à la vue d’un extrait vidéo sans même avoir vérifié d’où il provenait ?..Et en l’occurrence d’une chaine russe, donc l’opposition..

..sans même avoir pris la peine de consulter le reste du discours et de se le faire traduire au besoin ? Par exemple auprès de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales INALCO, qui aurait eut vite fait de recontextualiser le message.. ?

Trois mois se sont écoulés entre sa prise de connaissance de la vidéo et son départ..cela laissait le temps de faire quelques démarches..

Notons que le réactif média de fact checking stopfake.org avait déjà démenti l’extrait au lendemain de sa parution dans les médias russe, facilement identifiable sur internet avec les mots clés « porochenko »; »children »; »donbass » par exemple..

Il eut été simple pour un journaliste aguerri de retrouver l’information rapidement si il le souhaitait..

Très étonnant comme démarche journalistique…

Depuis le 24-02-2022, elle multipliera ses interventions sur les plateaux de TV pour y dénoncer le régime oppresseur ukrainien, sans être jamais allé côté ukrainien rappelons le, et sans jamais contrebalancer son discours quant à l’ingérence russe dans le Donbass, les milices russes présentes, l’annexion illégale de la Crimée, le non-respect des cessez-le-feu liés aux accords de Minsk..etc etc.

Le journal Libération s’était également pencher sur le cas A.L Bonnel.

Les intentions de la « journaliste » et l’ensemble de ses prises paroles publiques ne font pas trop de doute sur son parti pris.

Pour clore la parenthèse Anne-Laure Bonnel, au sujet de son documentaire, l’équipe de journaliste ukrainien  a déjà mis en lumière les incohérences et les inexactitudes de ce reportage que nous vous invitons à consulter ici.

Discours complet du discours P.Porochenko

A partir de la Minute 48″30

Dès ses premiers mots d’introduction, le Président insistera sur une desescalade de la violence et l’arrêt du conflit armé.

Nous avons traduit pour vous :

 « Aujourd’hui, notre tâche principale est de sauver le pays et de donner au nouveau peuple qui a émergé après la révolution de la dignité [Maïdan] une chance de gagner ce combat. Nous avons déjà fait beaucoup. Nous n’avons aucune raison de désespérer ou d’être insatisfaits, il n’y a aucune raison. Je voudrais vous rappeler qu’il y a quatre mois, lorsque j’ai pris mes fonctions, personne ne croyait que nous pourrions arrêter la guerre. L’offensive, le manque de forces armées, le désespoir, le manque d’armes, le manque de commandement efficace ont condamné notre pays à la défaite. Savez-vous pourquoi je suis heureux aujourd’hui ? C’est le premier jour sans bombardement. Et seulement vous pouvez me comprendre, personne d’autre. Ceux qui sont à l’étranger ne comprendront pas. Lorsque tu te réveilles la nuit avec des appels téléphoniques : Quelqu’un a été tué là-bas, quelqu’un a été bombardé, quelqu’un a été encerclé, un avion a été abattu, tout…et que tu laisses cela te traverser le cœur, c’est impossible de survivre. Quand on a arrêté la guerre, quand on a arrêté les bombardements, quant au sujet de chaque bandit qui a pris les armes, on a trouvé les bonnes actions pour les lui enlever alors on a la ferme conviction que tout ira bien. Pourquoi ? Cette guerre ne se gagne pas avec des armes. Chaque balle crée deux ennemis.»

« Cette guerre ne peut pas être gagnée avec des armes.»

Dans son discours complet, en réalité, le Président de l’époque, P.Porochenko, tenait au contraire un discours opposé à la thèse propagée par la journaliste et la propagande russe. C’était un discours qui prônait une solution politique pacifique et un constat de la situation telle que la vivait les habitants d’une partie du Donbass depuis l’ingérence russe, l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de la région par les séparatistes en comparaison des territoires libérés par l’armée ukrainienne.

Porochenko poursuit..

« Cette guerre ne peut pas être gagnée avec des armes. Chaque balle produit deux ennemis. Et chaque jour de paix, l’État ukrainien démontre sur les territoires libérés, que les citoyens qui chantaient « Hosanna » [Chant de triomphe] au régime pseudo-séparatiste il y a un mois, comprennent aujourd’hui qu’ils ont du chauffage, de l’électricité, ils peuvent enfin envoyer leurs enfants à l’école, ils ont commencé à recevoir des pensions, des allocations d’invalidité, ils trouvent un emploi, ils reçoivent un salaire et de l’autre côté [du côté séparatiste], une femme, professeur agrégée à l’université Taras Chevtchenko de Louhansk, que j’ai rencontré il y a quatre mois m’appelle. Je lui demande « Comment se passe votre journée«  et elle me répond « Je me lève à 5h du matin parce que c’est le seul moyen de faire la queue et d’obtenir deux bidons d’eau, parce qu’il n’y a pas d’eau. Je reviens vers dix heures après avoir fait la queue, je dépose mes bidons d’eau et je cours faire la queue pour trouver du pain. Un pain et demi, parce que à midi, il n’y en aura plus. Je reviens et je ne sors plus de la maison, parce qu’à partir de deux heures, ces gens armés commencent à sortir et peuvent tirer sur n’importe qui dans la rue. » »

Nous sommes bien loin d’un discours va-t-en-guerre contre la population du Donbass comme le prétextait la propagande à travers cette vidéo et ses sous-titres.

Il poursuivit ensuite son discours en remerciant Odessa pour sa sagesse, sa solidarité et sa position pro-ukrainienne et se disait ravi que la délégation de l’OSCE [venu en visite] ai jugé la ville harmonieuse et une ville de paix.

« Parce que la guerre et la victoire sont dans l’esprit, et pas sur les champs de bataille »

Puis vint le fameux passage extrait de la vidéo complète :

Le début de phrase de la transcription ci-dessous « Et nous gagneront tout avec la paix » n’apparait bien sûr pas dans le court extrait volontairement choisi, il eut été dommage d’entendre le Président ukrainien commencé un discours soit disant oppresseur par le mot Paix…

« Et nous gagneront tout avec la paix, parce que nous aurons des emplois, et eux n’en ont pas, nous aurons des pensions, eux n’en ont pas, nous nous occuperons des enfants et des retraités, eux non, nos enfants iront à l’école et dans les jardins d’enfants, leurs enfants resteront assis dans des sous-sols/caves. Parce qu’ils ne savent[peuvent] rien faire, c’est ainsi, (de cette façon) que nous gagnerons cette guerre. Parce que la guerre et la victoire sont dans l’esprit, et pas sur les champs de bataille. Ils [les séparatistes] ne le comprennent pas. Je le comprends, j’ai votre soutien et j’en ai vraiment besoin pour qu’on gagne, sans mettre les héros ukrainiens dans la tombe, y compris ceux d’Odessa. »

Contextualisé dans un discours qui prône l’arrêt du conflit et la paix, ses propos prennent un tout autre sens, il ne suffit pas de se contenter d’interpréter l’emploi du verbe avoir au futur dans cette tournure de phrase.

Plus d’explications :

Porochenko souhaite simplement imager et marquer les esprits en proposant à son auditoire une vision comparative entre ce qui attend ceux qui pourraient avoir envie d’accepter de vivre sous influences séparatistes et ceux qui en sont revenus. [comme dans l’exemple précédent sur les territoires libérés]

Ce n’est en rien une menace, c’est au contraire une invitation à être prudent face aux fausses promesses que les séparatistes ne sauraient tenir et une mise en garde sur le fait qu’ils [la population] pourraient au contraire avoir tout à y perdre, retraites, pensions, etc. que les séparatistes sécessionnistes ne sauraient leur apporter.

Pour terminer sur ce sujet et à titre d’exemple, imaginons un contexte complètement différent : Un enfant qui pratique assidument un sport de combat et un autre enfant qui n’en pratique pas du tout.

-J’aurai [l’enfant qui pratique un sport de combat] la possibilité d’accéder à des compétitions de haut niveau lorsque toi [l’enfant qui ne pratique pas de sport du tout] tu ne peux y prétendre-

Tout le monde conviendra de l’emploi du futur dans la phrase et pour autant, est-ce une menace ? Non..un simple constat basé sur des faits et une situation de départ connue.

Dans la suite de son discours, P.Porochenko parlera de réformes anti-corruption, du sentiment national ukrainien et célèbrera les héros ukrainiens qui ont assuré la défense du pays.

Retraites, pensions pour les habitants du Donbass

Rappelons également, au contraire de ce que la propagande russe laissait entendre, que le gouvernement ukrainien n’a pas stoppé les retraites et indemnités des populations des zones séparatistes.

En revanche, à cause de l’instabilité de la situation créée par les séparatistes, les autorités ont dû modifier les conditions d’enregistrement et d’identification pour le droit aux indemnités.

En outre, il était nécessaire de se rendre en territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien pour effectuer ses démarches.

@OSCE SMM/Evgeniy Maloltka

C’est ce que déplorera notamment l’agence des Nations Unies pour les réfugiés qui estime ses déplacements difficiles pour certains retraités.

On ne peut nier que la situation soit complexe, pour autant, on imagine également les difficultés pour le gouvernement sur ce genre de questions délicates après que des habitants aient soutenus la sécession de leurs villes par des séparatistes au profit d’un « rattachement » avec la Russie..

Ces personnes ont travaillé, elles ont légitimement le droit à leurs indemnités, cependant, dans un contexte de guerre, la question ne saurait être tranché si simplement, notamment du point de vue de l’opinion publique ukrainien qui, à juste titre également, juge les séparatistes et leurs soutiens responsable de la situation globale du pays et du conflit armé.

L’exemple en Crimée après son annexion est également criant au sujet de l’approvisionnement en eau qui a tantôt été diminué, tantôt coupé par Kiev.

La population était divisée au sujet de cette question. Fallait-il continuer à soutenir matériellement une région qui « ne vous appartient plus »

Certains étaient en faveur d’une continuité d’approvisionnement par solidarité avec les habitants et d’autres soutenaient que cela serait un acte de traitrise.

Il a également été évoqué la possibilité de « vendre » cette eau à la Russie au même titre que cette dernière vend du gaz à l’Ukraine.

Des voix internes à la Crimée, à l’image de Refat Tchubarov, chef Majlis du peuple Tatar de Crimée s’est élevé contre cette idée.

[A noter que le peuple Tatar a toujours été opprimé par le pouvoir russe et continue de l’être encore ajourd’hui. Le peuple Tatar rejetait l’annexion de la Crimée par les russes]

« Ce n’est que depuis le retrait des troupes que nous ouvrirons les premières écluses. Il n’y a pas d’autres compromis » affirmait R.Tchubarov.

En outre, il estimait que les réserves d’eau potable étaient suffisantes en Crimée, l’eau pourrait manquer dans les bases agricoles et militaires de la Fédération de Russie.

Il poursuivait ainsi :

« Vendre de l’eau à la Russie ne ferait que renforcer la position d’occupation de la péninsule. »

De surcroit, la Crimée connaitra ensuite d’autres désagréments, un fort assèchement des zones et réserves humides liés au réchauffement climatique, le manque d’entretien des installations hydrauliques qui détériorent la qualité de l’eau et compromet un rétablissement rapide des infrastructures dans le cas d’une éventuelle levée de restrictions par Kiev. La population révélera aussi l’incompétence des autorités locales [russes] dans la gestion de l’eau et la corruption, mais toutes contestations sera vite réprimée.

En résumé :

-Le Président P.Porochenko n’a pas menacé les populations du Donbass, ceci est une interprétation décontextualisée de son discours complet
-Son discours complet était un message de paix et non un message de haine
-Il y avait une intentionnalité avérée de nuire au Président Porochenko et une volonté manifeste de manipuler l’opinion publique en coupant intentionnellement ce passage
-Les populations en zones séparatistes n’ont pas fait l’objet de sanctions particulières
-Les habitants des zones séparatistes continuait à percevoir leur retraite, même si la tâche était rendue plus difficile en raison du soulèvement armé par les séparatistes et que des erreurs d’appréciation ont pu être constatés