Taras Chevtchenko [1814-1861]
Voici la thèse soutenue çà et là sur les réseaux et entretenue par le Kremlin qui affirme que les russophones en Ukraine seraient victimes de harcèlement et de persécution via l’interdiction de parler la langue Russe depuis 2014.
Pour qui connait l’Ukraine et les Ukrainiens, cette affirmation prête à sourire quand on sait que les Ukrainiens Ukrainophones sont très souvent bilingues et parlaient* très largement le Russe au quotidien, et ce, pas uniquement dans les régions du Sud ou à l’Est, là où la population russophone est majoritairement présente, mais aussi au centre, notamment à Kiev, la capitale ou dans les grandes villes. C’est à l’ouest et dans les campagnes qu’elle est le moins usitée.
*Depuis l’invasion du 24.02.2022, cette tendance a basculé et les Ukrainiens ont radicalement adopté la langue Ukrainienne dans la plupart des régions pour soutenir la souveraineté de leur pays et certainement aussi par un réveil des consciences comprenant que la langue est un aspect essentiel de l’identité et la culture d’une Nation.
Dans un sondage du Kyiv Internatinal Institute of Sociology (KIIS) de décembre 2022, le nombre de locuteurs Ukrainiens russophones a diminué de 11% par rapport à 2017 et le pourcentage d’Ukrainiens s’exprimant en Ukrainien a progressé de 8%.
En préambule :
L’Ukrainien est une langue indo-européenne qui appartient au sous-groupe slave orientale qui était à l’origine une langue relativement commune (le ruthène ancien ou rusyn) aux Ukrainiens, aux Russes et aux Biélorusses avant de se différencier à la suite des mouvements migratoires et aux influences des différentes colonisations qui ont conduit ces 3 peuples à choisir des chemins différents à partir IX-Xème siècle.
Le ruthène était notamment la langue usitée durant la période de la Rous’de Kiev qui est le berceau commun des civilisations slaves.
L’histoire de la linguistique en Ukraine est très vaste, car bien que le pays ne soit reconnu comme un Etat Indépendant que depuis 1991, après une courte période entre 1917-1921, la naissance de la Nation Ukrainienne est bien plus ancienne, elle remonte à 860 et à l’Etat de Kiev [Rous’de Kiev] fondé par le peuple Varègues.
Intéressons nous à l’Ukraine [aujourd’hui] et ses particularités linguistiques.
L’Ukraine en chiffres :
L’Ukraine est un pays qui compte environ 43,79 Millions d’habitants.
(Données : Banque mondiale 2021)
Celle-ci est majoritairement peuplée d’Ukrainiens, environ 75,5% représentant ~33 millions de la population, mais c’est un pays multiethnique qui regroupe plusieurs minorités :
Russe : 17.2% ; Roms : 1.3% ; Ruthène : 1,1% ; Yiddish 1,1% ; Tatar de Crimée 0,6% ; Biélorusse 0,5% ; Moldave 0,5% ; Bulgare 0,4% ; Hongrois 0,3% ; Roumain 0,3% ; Polonais 0,3% ; Arménien 0,2% ; Grec 0,2% ; Tatar de l’Oural 0,2% ; Azéri 0,09% ; Géorgien 0,07% ; Allemand 0,06% ; Gagaouze 0, 06%.etc
Les 17,2% de Russes (~7,5M d’hab) majoritairement située à l’Est et au Sud de l’Ukraine notamment dans les régions de Kharkiv (~2’600 000 d’hab), Louhansk (~2’000 000 d’hab), Donetsk (~4’000 000 d’hab), Zaporijia (~1’700 000 d’hab), Mykolaiv (~1’100 000 d’hab), Odessa (~2’300 000 d’hab), Kherson (~1’000 000 d’hab) ou encore en Crimée annexée depuis 2014.
Cette composition ethnique ne reflète pas le % de la langue parlée en Ukraine. Celle-ci est répartie de la manière suivante :
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- Ukrainophones : ~67.5% soit 29,49 millions de personnes
- Russophones : ~29,6% soit 12,93 millions de personnes
- Autres : ~2,9% soit 1,26 millions de personnes
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A noter néanmoins que si l’on tient compte des personnes qui se considèrent bilingue natif [Ukrainophone et Russophone], alors la proportion des Russophones passe à ~42,8% soit 18,74 millions de personnes.
Une autre forme d’ukrainien est utilisée, le « sourjyk » un langage mixte qui emploi généralement l’ukrainien et le russe dans une même conversation.
Données : 2019
Note :
Les chiffres considérés ci-dessus sont à prendre avec une certaine réserve et concernent la période avant l’invasion du 24.02.2022 et la folie meurtrière, notamment sur les civils dans certaines régions comme Marioupol, Tchernihiv et bien d’autres…le prochain recensement sera très certainement très différent.
Les recensements n’ayant pas pu se dérouler dans les conditions souhaitées en raison des conflits à l’Est provoqués par la Russie, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, la situation économique du pays a été mise à mal, le taux de natalité a chuté, le taux de mortalité a augmenté (appauvrissement, conditions de vie, soins, etc.), migration et déportations, autant de facteurs d’influence.
Les deux langues, L’ukrainien et le russe, partagent un champ lexical commun d’environ ~62% mais restent néanmoins deux langues distinctes avec une prononciation différente des mots.
En comparaison, le champ lexical commun entre l’ukrainien et le slovaque représente 68%, 70% avec le polonais et jusqu’ 84% avec le biélorusse.
On peut également faire des analogies semblables entre le Français et l’Italien (89%) ou entre le hollandais et l’anglais (63%) ou encore entre le suédois et le norvégien (84%) parmi tant d’autres.
A noter également que, si dans la majorité les Russes ne comprennent ni ne parlent l’Ukrainien, le contraire n’est pas vrai puisque presque tous les Ukrainiens d’origine sont également Russophones du fait de l’intense russification du pays.
C’est ainsi que lors d’un sondage de 2019, alors que l’on pourrait s’attendre à ce que la majorité des 75,5% d’Ukrainiens natifs du pays parlent la langue nationale officielle à la maison, ce n’est pas le cas puisque 52% des Ukrainiens ukrainophones ou russophones déclarent utiliser le russe à la maison ou au travail.
Avant d’entamer l’analyse des évènements de 2014 et de répondre à la question « l’Ukraine a-t-elle interdit la langue Russe » il nous semble utile de revenir un peu dans l’histoire.
Comme énoncé en amont, la culture ukrainienne est riche et ancienne, elle puise ses origines dans l’histoire ancienne Slave, en passant par les périodes princières, la Rous’de Kiev [IX-XIVe], les périodes lituano-polonaises[XIV-XVIe], l’Hetmanat cosaque [1648 -fin XVIIIe], l’Ukraine sous domination de l’Empire Russe et Austro-Hongrois [fin XVIII-1917] qui aboutira à sa première indépendance [1917-1921] pour être ensuite intégrée dans l’URSS en tant que République Socialiste Soviétique [1922-1991] et finalement l’Ukraine souveraine depuis 1991.
C’est donc logiquement à partir de la fin du XVIIIème jusqu’à son indépendance en 1991 qu’il est intéressant de regarder, s’agissant de la plus longue période d’interdépendance entre l’Ukraine [sous occupation] et l’Empire Russe, la Russie.
L’objectif étant de contextualiser les rapports linguistiques entre ces deux nations et notamment l’influence Russe sur la langue en Ukraine sous domination durant cette longue période, avant de répondre à l’accusation principale en Titre.
Et les faits historiques sont édifiants tant le niveau d’oppression qu’a subi la langue Ukrainienne est considérable.
Linguistique en Ukraine dans la période : [fin XVIII – 2022]
Fin XVIIIème siècle
- 1765-1786 Russification de la langue dans l’Hetmanat Cosaque d’Ukraine
La langue administrative de l’Hetmanat fut progressivement russifiée, ce qui permit l’adoption complète du russe comme langue d’administration des terres ukrainiennes à la place de la langue ruthène à la fin de la période. En conséquence, la langue ruthène est limitée à l’usage privé et aux œuvres non conçues pour l’impression.
XIXème siècle
- 1840 -1846 Répression Russe sur la Confrérie de Cyrille et Méthode
Taras Chevchenko, figure de l’histoire et grand poète et peintre Ukrainien était membre, parmi d’autres intellectuels, d’une confrérie politique qui défendait les droits Ukrainiens. Jugé trop nationaliste, Chevchenko fût châtié par le pouvoir Russe, déporté et condamné à
10 ans de travaux forcés avec interdiction d’écrire ou de peindre. Il meurt en 1861 après son retour.
- 1863 Interdiction d’imprimer et d’enseigner en ukrainien (Circulaire de Valouïev)
Après la mort de Nicolas Ier, à la fin des années 1850, le mouvement national ukrainien se renforce, notamment à travers une nouvelle génération d’étudiants qui organise des associations culturelles appelées hromady et qui auront une résonnance à l’étranger, notamment en France par l’intermédiaire de Casimir Delamarre, homme politique et économiste qui réclamera une réforme de l’enseignement de l’histoire de l’Europe orientale afin de discerner les Ruthènes des Moscovites. Ceci provoquera la colère des milieux conservateurs et du gouvernement Russe qui interdiront la publication d’ouvrage scientifiques et religieux ainsi que les manuels scolaires en langue ukrainienne et également les écoles du dimanche. (cours privé en langue ukrainienne)
- 1864 Adoption de la Charte de l’école primaire dans laquelle l’enseignement devait être dispensé uniquement en russe.
- 1876 Interdiction d’enseigner, de publier et d’importer des livres en langue ukrainienne.
10 ans après, le mouvement renait et fonde l’Ancienne Hromada à Kiev. Le Tsar Alexandre II inquiet de la progression du mouvement interdit par l’Ukase d’Ems la publication mais aussi l’importation de livres en langue ukrainienne édités à l’étranger.
XXème siècle
- 1914 Le Tsar Russe interdit l’usage de l’Ukrainien dans la partie ouest [Empire Austro-Hongrois]
Pendant l’occupation Russe de la Galicie, le pouvoir Tsariste dans sa politique de russification ferme les institutions ukrainiennes, pille leurs bibliothèques, supprime les journaux ukrainiens et interdit l’usage de la langue ukrainienne
- 1920 Suppression du statut d’autonomie administrative en Galicie par la Pologne
La Pologne supprime le statut d’autonomie administrative à l’Ukraine accordée en juin 1919 à la conférence de la Paix à Paris dans laquelle la Pologne reconnaissait à la population ukrainienne une autonomie culturelle, le droit à l’utilisation de leur langue dans la vie publique et dans l’enseignement
- 1920-1929 Indigénisation linguistique sous l’Empire Russe
Après sa courte période d’Indépendance {1917-1921], en 1922 Lénine englobe l’Ukraine sous le drapeau soviétique. L’Ukrainien reconnu seconde langue officielle au côté du Russe pendant une courte période.
- 1924 En Bukovine, sous occupation Roumaine, fermeture et suppression des institutions Ukrainiennes et presse interdite
Le 26 juillet 1924, une loi considère que les Ukrainiens sont des Roumains ayant « oubliés » leur langue maternelle.
- 1929 La résurgence de manifestations indépendantes en Ukraine inquiète le pouvoir Russe
- 1930 Sous l’impulsion de Staline, retour à une répression de la langue accusée de favoriser le nationalisme ukrainien.
Une révision de ses règles grammaticales et orthographiques est entreprise afin d’effacer les différences entre russe et ukrainien
Les intellectuels et écrivains Ukrainiens sont sévèrement punis, emprisonnés, déportés et dans certains cas tués.
- 1941 Roumanisation des territoires ukrainiens occupés
Avec l’accord des Allemands, les Roumains occupent une plus large partie du territoire ukrainien [Bukovine, Bessarabie et Transnitrie] Une large campagne de roumanisation entreprend le changement des noms de localités ukrainiennes, les noms de famille ukrainiens, l’interdiction de la langue dans les écoles, les administrations et l’église. De vastes déportations d’ukrainiens ont lieu au profit d’une colonisation Roumaine.
- 1946-1949 Tous les pans de la culture ukrainienne acquis durement sont attaqués par le pouvoir Russe afin d’éviter une nouvelle résurgence nationaliste ukrainienne.
Ouvrages interdits, rejet des associations culturelles, opéras, théâtres, films projetés dans les cinémas et émissions de radio.
Adoption d’une nouvelle orthographe inspirée de l’orthographe russe.
Cette période marquera un coup d’arrêt significatif à l’expansion de la culture ukrainienne en raison des interdictions et du manque de personnel enseignant.
- 1958 Réforme sur le renforcement des rapports à l’école avec la vie et sur le développement du système éducatif
Le russe devient la langue de tout le système éducatif et accélère la russification
- 1960-70 L’intelligentsia tente de remobiliser le courant ukrainien
En 1963, lors d’une conférence sur la langue ukrainienne à l’université de Kiev, les participants exigent que la langue ukrainienne soit reconnue comme langue officielle de la RSS d’Ukraine mais la russification intense se poursuit et isole la langue ukrainienne. Se produit une vague d’arrestations de ces personnalités ukrainiennes.
- 1984 Les paiements ont augmenté de 15% sur le salaire des enseignants de la langue russe par rapport aux enseignants de la langue ukrainienne
- 1985 La Perestroïka mené par M.Gorbatchev relance les revendications ukrainiennes
- 1989 La langue ukrainienne devient par décret la langue officielle de la République Socialiste Soviétique d’Ukraine
- 1996 À la suite de l’Indépendance de 1991, et la mise en place de la Constitution Ukrainienne, la loi confirme le statut de l’ukrainien comme seule langue officielle
XXIème siècle
- 2012 Loi sur la politique linguiste de l’état du 03-07-2012
Le projet de loi de la Verkhovna Rada d’Ukraine « Sur la politique de la langue d’État », qui a progressivement réduit le champ d’utilisation de la langue ukrainienne dans la plupart des régions d’Ukraine.
- 2014 Suppression de la langue en Crimée annexée et en DNR/LDR
La langue ukrainienne réduit à néant, notamment dans l’éducation en Crimée occupée par la Russie et dans les républiques populaires autoproclamées
- 2022 Invasion de l’Ukraine par la Russie
Après l’ invasion Russe de l’Ukraine , des responsables russes de haut niveau niant à plusieurs reprises l’existence de la langue ukrainienne (et de la culture et de l’identité nationale ukrainienne) sont cités comme faisant partie de l’incitation au génocide dans un rapport de plus de trente experts. Les Russes auraient également brûlé des livres ukrainiens en masse sur les territoires occupés et amené leurs professeurs dans les territoires occupés pour enseigner l’histoire de la propagande
Les sources à ce sujet sont légions sur internet ou dans la littérature. Par exemple, les ouvrages de A.Joukovsky « Histoire de l’Ukraine », « Une histoire en questions par I.Lebedynsky, « History of Ukraine-Rus » de Hrushevsky Mykhailo, « De l’indépendance à la guerre » par A.Goujon, bien d’autres ou sur internet ici ou ici entre autres.
Si la répression de la langue ukrainienne a également été utilisée dans des proportions plus faibles par d’autres états (Polonais, Roumain..) c’est bien l’Empire Russe qui a usé de la plus grande fermeté à cet égard.
Le moins que l’on puisse ajouter à la lecture de cette chronologie, c’est que le peuple ukrainien est un peuple résilient qui a été confronté à une longue période de persécution qui réprimait l’existence même de sa population et de sa culture, comme le fait encore aujourd’hui V.Poutine ou d’autres représentants de la Fédération de Russie à l’image de D.Medvedev ancien Premier Ministre[2012-2020] ou encore Piotr Tolstoï, Vice-président de la Douma.
Quelques exemples :
05-04-2022 D.Mededev
« L’ukrainisme profond, alimenté par le venin antirusse et le mensonge total sur une pseudo identité, est un immense fake. Ce phénomène n’a jamais existé dans l’histoire. Il n’existe pas non plus aujourd’hui. »
24-06-2022 P.Tolstoï
« Au cours des vingt dernières années, on a fait croire aux Ukrainiens qu’ils ne faisaient pas partie de la Russie. Il va falloir vingt ans pour leur faire admettre le contraire. »
12-07-2021 V.Poutine
« Russes et Ukrainiens sont un seul peuple »
Cette chronologie fait particulièrement écho aux allégations de V.Poutine qui tente d’inverser les rôles en faisant croire que ce serait la population russophone qui serait victime de persécution alors que ce sont bien les Russes qui ont humilié, persécuté et opprimé pendant plus de deux siècles le peuple ukrainien, non seulement sur l’emploi de la langue, mais aussi sur les aspects de la politique, culturel, religieux, économique, etc.
2014 – Abrogation de la loi sur la langue de 2012
Contexte de l’abrogation de la loi de 2012 [non ratifiée]
Maïdan 2014 ->Pour approfondir les évènements de Maïdan, visitez notre article (Ici)
En février 2014, à la suite de la fuite du Président déchu V.Ianoukovitch, le Parlement ukrainien souhaitant exprimer une rupture ferme avec la gouvernance précédente jugée contradictoire avec la politique d’ukrainisation initiée dans les années 80-90 dans un but de renforcement et d’unification nationale après de longues périodes d’assujettissement, de tentatives d’éradication de son statut et de campagnes répétées de russification sous l’Empire russe, vote l’abrogation de la loi sur les langues de 2012.
Celle-ci ne sera finalement pas ratifiée par le Président P.Porochenko et la loi de 2012 accordant un statut de langue régionale aux langues minoritaires ne sera rendue inconstitutionnelle qu’en février 2018 pour vices de procédures.
Dans les faits, que signifiait la Loi sur la langue de 2012 ?
Un statut de deuxième langue officielle au russe, car même si cette loi s’appliquait également aux autres minorités ethniques, en réalité, celles-ci ne dépassèrent généralement pas les 10% minoritaires pour faire valoir ce droit.(quelques localités à l’ouest)
Article 3, paragraphe 7 de la loi :
« Pour chaque langue définie au deuxième paragraphe du présent article, les mesures visent à l’emploi des langues régionales ou minoritaires, comme le prévoit la présente loi, à la condition que le nombre de locuteurs des langues régionales résidant dans la région où la langue est employée représente 10 % ou plus de sa population. »
En outre ce statut de la langue régionale signifie un emploi de celle-ci dans tous les domaines de la vie publique : Politique, culturel, économique, sociale, associative, judicaire, éducation, etc.
Ainsi après l’adoption de cette loi, la langue russe devenait langue régionale dans 13 des 27 régions de l’Ukraine.
Kyiv, Dnipropetrovsk, Zaporijia, Odessa, Kherson, Mykolaïv, Kharkiv, Donetsk, Louhansk, Sumy, Tchernihiv, ainsi que dans la République autonome de Crimée.
Cette loi a été vivement contestée par l’opposition qui défendait principalement l’idée que la seule langue officielle devait rester l’ukrainien et que son statut de langue nationale serait mis en danger, car dans les faits, le principe de statut de langue régionale apportait une concurrence directe à la langue ukrainienne avec ce que cela implique en termes de dimension culturelle et d’unicité de la nation.
L’opposition défendait également le droit à l’auto-détermination des peuples en raison de leur volonté et non d’emblée en raison d’un % de locuteurs natifs.
D’un point de vue libérale, cette loi aurait du sens car elle accorde aux minorités ethniques du pays un poids identique à l’ukrainien mais celle-ci intervient dans un contexte historique et géopolitique compliqué comme expliqué précédemment. Une « jeune » nation indépendante [au sens politique] qui a vécu sous le joug de ses voisins qui n’auront cessé de reléguer la langue ukrainienne au second plan quand elles n’ont pas cherché à en effacer toutes les caractéristiques.
De plus, il apparaissait assez clair que la loi sur les langues de 2012 était insidieusement une volonté russophile de lui accorder le même statut que la langue officielle dans une grande proportion du pays, ce indépendamment de la mutation qu’avait opérée l’Ukraine post 1991 et les caractéristiques linguistiques de la population.
En d’autres termes, pourquoi serait-il plus légitime d’accorder à la minorité russophone un statut équivalent à la langue officielle quand les autres minorités ne peuvent y prétendre ? Cela revêt ici un sentiment d’injustice non acceptable pour les Ukrainiens et les minorités ethniques.
Les exemples ailleurs dans le monde
Le sujet la linguistique étatique n’est pas inhérent à l’Ukraine. Bien des nations ont fait le choix du monolinguisme pour garantir l’unicité du pays.
C’est le cas de la France qui a longtemps réprimé les langues régionales/locales.
C’est vrai aussi en Italie, c’était vrai pour les Etats-unis, ou entre autres exemples, plus récents et plus proches de l’Ukraine dans les Pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) qui partagent un bout d’histoire avec l’Ukraine en tant qu’ancien membre de l’Union Soviétique.
Pourquoi en Ukraine la question des minorités devrait être considéré différemment des autres nations ?
L’Ukrainien, une langue en danger ?
Les données montrent un total de 32 millions de locuteurs natifs dans le monde dont environ 29 millions en Ukraine.
La langue russe, quant à elle dénombre 156,6 millions de locuteurs natifs dans le monde dont 117 millions en Russie.
Le russe est la langue officielle en Russie, en Biélorussie, au Kirghizistan et au Kazakhstan (bien que celle-ci ne soit pas référencée comme telle dans le tableau ci-dessous)
En outre, les chiffres affichés sur ces tableaux ne tiennent compte que des locuteurs natifs (de naissance) et non du nombre de locuteurs. Le nombre de personnes qui comprennent ou parlent le russe ou l’ukrainien comme langue apprise ultérieurement n’est pas représenté. Les pays dans lesquels les locuteurs natifs ne représentent que quelques milliers, voire une centaine de personnes, ou les pays dont le pourcentage est nettement inférieur à 1% ne sont pas listés.
D’autre part, lorsque l’on regarde le classement des langues les plus parlées dans le monde, on constate que le russe se place en 8ème position avec 258 millions de locuteurs.
N’y a-t-il pas « urgence » à protéger et à privilégier l’usage de l’ukrainien en Ukraine au regard de ces statistiques ? D’autant avec les évènements de 2022, chute de la population ukrainienne à prévoir pour les prochaines années, fortes migrations probables, diaspora ukrainienne qui ne retournera pas au pays après la guerre et qui utilisera la langue du pays dans lequel elle évoluera, etc..
Une instrumentalisation par le Kremlin soutenue par les séparatistes ukrainiens de l’Est ?
D’autres sondages menés en 2017 par l’Institut de Sociologie de Kiyv montrent qu’un pourcentage infime des sondés s’inquiète du statut de la langue russe, ~1% y compris à l’Est ou le pourcentage ne dépasse pas 3%.
En outre, en 2019, le peuple ukrainien élira Volodymyr Zelensky, humoriste, producteur, réalisateur et acteur russophone, originaire de l’Oblast de Dnipropetrovsk (majoritairement russphophone) à la tête de l’Etat, pas vraiment ce que l’on pourrait imaginer d’un peuple qui « aurait des vélléités de nuire » à une langue minoritaire du pays..
En résumé
-La langue Russe n’a jamais été interdite |
-La loi de 2014 n’a pas été ratifiée par P.Porochenko |
– La loi de 2012 rendant un statut de langue régionale « autrement dit langue officielle au même titre que l’Ukrainien » à la langue Russe était en vigueur jusqu’à février 2018 |
-La loi sur la langue 2019 ne s’étend pas au domaine de la vie privée et religieuse |
-La loi n’interdit pas l’usage d’une langue minoritaire avec le consentement des parties |
-Bien que celle-ci puisse paraitre contraignante à certains points de vue par les minorités ethniques, la loi sur la langue de 2019 ne poursuit qu’un but légitime en Ukraine ; Garantir le fonctionnement de la langue officielle en tant qu’instrument d’unification de la société ukrainienne, favoriser l’intégration des minorités, renforcer l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, son indépendance et sa sécurité nationale |
-En outre, la loi de 2012 puis celle de 2019 n’a pas fondamentalement changé les habitudes in situ. En Ukraine, avant 2014 jusqu’à aujourd’hui [Avant le 24.02.2022]la loi n’était absolument pas contraignante dans les faits et l’usage de la langue russe restait très largement répandu, pas seulement à l’Est, mais un peu partout en Ukraine et notamment dans la Capitale Kiyv. |
Pour aller plus loin ⇓
L’Ukrainien post 24-02-2022
Dans un récent sondage [Déc.2022] sur le thème de la langue et l’identité en Ukraine, une forte progression des locuteurs utilisant l’ukrainien dans la vie courante est visible.
Ainsi, 41% des sondés ont déclaré ne parler qu’en ukrainien, 17% supplémentaires le parlant « dans la plupart des situations », et à contrario 6% ne parlent que le russe et 9% parleraient principalement le russe. 24% des personnes interrogées affirment qu’ils utilisent les deux langues à proportion égale.
Source -Traduit de l’Ukrainien au Français par Mediaguerri
A titre de comparaison, dans les années 1990, ce rapport était de 55% de russophones contre 45% d’ukrainophones avec une prévalence dans l’Est et au Sud de 90%.
L’auteur précise que ce ratio a progressivement évolué en faveur de l’ukrainien, et que même après les évènements de Maïdan et l’annexion de la Crimée, dans une enquête menée en septembre 2014, le rapport était de 50 / 50.
L’auteur conclu également avec ces résultats « remarquables » : 87 % des sondés ont choisi de répondre au sondage en ukrainien, et les résultats sont encore plus saisissant parmi la population représentée à l’Est qui a répondu en ukrainien à hauteur de 74% !
Source -Traduit de l’Ukrainien au Français par Mediaguerri
De la même manière, si l’on s’en tient aux réponses des personnes interrogées, 50% ne communiqueraient qu’en ukrainien dans le cercle familial, 12% d’entre eux principalement en ukrainien, 19% dans les deux langues. Quant aux russophones -16% de la part de ceux parlant uniquement ou principalement en russe par rapport à 2017 et -2% de ceux affirmant parler les 2 langues.
Ce sondage montre une tendance encourageante pour l’identité et la préservation de la culture Ukrainienne !
Genèse de l’historiographie linguistique en Ukraine :
- 22-01-1918
Durant la courte période [1917-1921] de la première Indépendance de l’Ukraine « République Nationale Ukrainienne »
Loi accordant aux représentants des Nations Russes, Juives, Polonaises vivant en Ukraine le droit à l’autonomie nationale et personnelle. Les autres minorités ethniques résidant en Ukraine pouvaient faire valoir un droit identique après soumission d’une pétition à la Cour suprême sous condition que celle-ci soit signée par au moins 10 000 ressortissants appartenant à la dite nationalité.
- 28-10-1989
La République Socialiste Soviétique de l’Ukraine faisait encore partie de l’ex-URSS
La RSS d’Ukraine reconnaît la valeur essentielle et sociale de toutes les langues nationales, et garantit sans réserve à ses citoyens les droits nationaux relatifs à la culture et à la langue, partant du fait que seuls le développement libre et l’égalité des langues nationales, ainsi que la haute culture de la langue, constitue le fondement de la compréhension mutuelle, du développement culturel spirituel et du renforcement de l’amitié entre les peuples.
La langue ukrainienne est l’un des facteurs déterminants de l’identité nationale des citoyens ukrainiens. La RSS d’Ukraine reconnaît à l’ukrainien le statut de langue officielle pour promouvoir le plein épanouissement des forces spirituelles et créatrices du peuple ukrainien, et garantir son avenir national en tant que qu’État souverain.
Le développement de la compréhension de la finalité sociale de l’ukrainien comme langue officielle de la République et de la langue russe comme langue des communications interethniques des peuples de l’Union des républiques socialistes soviétiques parmi les citoyens, indépendamment de nationalité, relève du devoir de l’État, du Parti et des corps publics ainsi que des médias de la République. Le choix de la langue de la communication interpersonnelle parmi les citoyens de la RSS d’Ukraine est un droit inaliénable des citoyens.
- 24-08-1991
Déclaration d’Indépendance de l’Ukraine
Adopté par la Verkhovna Rada le 1er novembre 1991, l’Ukraine garantissait à tous les peuples, aux groupes et aux citoyens de l’Ukraine vivant sur son territoire des droits politiques, économiques, sociaux, culturels, et interdisait toute discrimination.
Les diverses minorités nationales devaient avoir le droit d’employer librement leur langue maternelle dans tous les domaines de la vie sociale, notamment en éducation et en information. Les citoyens des diverses nationalités ont cru que le nouveau pays pouvait construire un État démocratique légitime. Les résultats du référendum ont démontré que la majorité de la population, soit 90,3 % des citoyens, toutes ethnies confondues, ont voté OUI à l’indépendance de l’Ukraine.
- 25-06-1992
Loi sur les minorités nationales
Le Rada suprême de l’Ukraine, poursuivant les intérêts essentiels de la nation ukrainienne et de toutes les nationalités dans la construction d’un État démocratique indépendant et reconnaissant l’inviolabilité des droits de l’Homme et de ceux des nationalités, qui visent à mettre en pratique la Déclaration des droits des nationalités de l’Ukraine, tout en respectant ses obligations internationales concernant les minorités nationales, adopte la présente loi garantissant le droit au libre développement des minorités nationales.
- 10-10-1995
Protocole du 14.10.1995 au sujet du toponyme Kiev en Ukrainien Kyiv
En 1995, le gouvernement ukrainien a fait adopter une résolution officielle concernant l’usage des formes étrangères pour désigner la capitale : en alphabet latin, la forme ukrainienne de Kyiv (en cyrillique: Київ) est proposée en lieu et place de Kiev (en cyrillique: Киeв) parce qu’elle correspond mieux à la prononciation ukrainienne que la russe. Une bonne translittération française serait «Kyiv» ou «Kyïv» (en prononçant [K-y-il-i-v]), et celle en anglais serait «Kyyiv», mais jamais «Kyev».
- 2013 [Non adopté]
Projet de loi modifiant la Loi sur les minorités nationales
La Verkhovna Rada d’Ukraine, fondée sur les intérêts vitaux de la nation ukrainienne et des minorités nationales vivant sur le territoire de l’Ukraine dans la construction d’un État de droit souverain et indépendant, démocratique, social; reconnaissant l’indissolubilité des droits de l’homme et des droits nationaux, s’efforçant de mettre en œuvre la Déclaration des droits des nationalités de l’Ukraine, conformément à la législation internationale obligations des minorités nationales, adopte la présente loi afin de garantir aux minorités nationales le droit à l’identité, au libre développement, à la paix et à l’harmonie interethniques.
- 03-07-2012
Loi sur la politique linguiste de l’état
Cette loi linguistique a été adoptée par la Verkhovna Rada (Parlement ukranien) le 3 juillet 2012 par 232 voix sur 334 députés. La loi n° 5029-VI avait été proposée par les députés russophones Vadim Kolesnichenko et Sergei Kivalov, du Parti des régions du président Viktor Ianoukovitch; la loi est entrée en vigueur le 10 août 2012.
La loi se voulait conforme aux dispositions de la charte européenne des langues européenne ou minoritaires, mais permettait aussi l’emploi à égalité avec la langue officielle (l’Ukrainien) de deux ou de plusieurs langues régionales ou minoritaires dans une région donnée, là où le nombre d’une minorité représentait 10 % ou plus de la population, soit en principe dans 13 régions sur 27, dont Kiev, la capitale.
Ce statut de « langue régionale » équivaut dans les faits à rendre toute autre langue aussi officielle que l’Ukrainien. C’est ainsi que, dans les mois qui ont suivi l’adoption de la loi n° 5029-VI, le Russe a été déclaré «langue régionale» dans les régions d’Odessa, Kharkiv, Kherson, Mykolaïv, Zaporizhzhya, Dnipropetrovsk, Luhansk et Donetsk, sans oublier la ville de Sébastopol en Crimée. De plus, le hongrois, le moldave et le roumain ont obtenu ce même statut dans certaines villes de l’Ukraine occidentale.
- 23-02-2014 [Non ratifiée]
Le 23 février 2014, le Parlement ukrainien, cette fois à majorité pro-Ukraine, souhaite abolir la Loi sur la politique linguistique de l’État de 2012 en adoptant le projet de loi « sur la reconnaissance de la date d’expiration », soumis le 28 décembre 2012. La question du statut constitutionnel de la loi a été tranchée par la Cour constitutionnelle de l’Ukraine, le 28 février 2018, qui l’a rendue inconstitutionnelle et invalidée.
- 28-02-2018
En février 2018, la Cour constitutionnelle Ukrainienne annulait la loi dite Kolesnichenko-Kivalov adoptée en 2012 ; elle l’annulait non pas seulement pour son contenu, mais en raison de la procédure illégale employée au moment de son adoption. En fait, la Cour constitutionnelle concluait que les violations de la procédure constitutionnelle d’examen et d’adoption du projet de loi, le 3 juillet 2012, avaient eu un impact significatif sur le résultat final de l’adoption de la loi.
Par ailleurs, la Cour constitutionnelle déclarait, entre autres, dans son arrêt du 2 février 2018, que la loi était inconstitutionnelle parce qu’elle neutralisait le statut de la langue ukrainienne en accordant un statu identique au russe et en élevant cette langue au-dessus des autres langues minoritaires d’Ukraine, ce qui semble inacceptable pour la majorité ukrainophone.
- 25-04-2019
Loi visant à assurer le fonctionnement de la langue Ukrainienne en tant que langue officielle
. Le 25 avril 2019, la Verkhovna Rada a adopté le projet de loi n° 5670-d « visant à assurer le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que langue officielle» plus connue sous le nom de «Loi sur la langue».
La loi entrait en vigueur le 17 juillet 2019. Seule la langue ukrainienne est désormais autorisée à être employée tant par les autorités nationales et locales, que par les entreprises, les institutions et les divers organismes. La seule exception concerne la Crimée actuellement occupée par la Russie, où, en plus de l’Ukrainien, la langue Tatare de Crimée est autorisée en tant que langue du peuple autochtone Ukrainien. Dans ces institutions, les langues étrangères ne seront autorisées que dans la communication avec des étrangers ou des apatrides. Si une personne affirme ne pas parler Ukrainien, les agents de la force publique sont autorisés à communiquer avec eux dans une autre langue qui conviendrait aux deux parties ou à avoir recours à un interprète. Cette nouvelle loi linguistique intervient dans un contexte de relations incertaines avec la Russie.