Sélectionner une page

Depuis le début de l’invasion en Ukraine, et même avant, par la voix du président russe, une des deux raisons invoquées [qui évolueront au fur et à mesure des mois suivant l’invasion] pour justifier la guerre en Ukraine est l’agressivité prétendue et la politique expansionniste de l’OTAN.

Décembre 2021, alors que les Etats-Unis mettaient en garde le monde contre la menace imminente d’une invasion de l’Ukraine par la Russie après que celle-ci ai massée une centaine de milliers de soldats à sa frontière, V.Poutine affirmait au contraire n’avoir aucune intention belliqueuse avec son voisin et que cette manœuvre consistait en une réponse à des « provocations » de l’OTAN et au renforcement des forces ukrainiennes dans le Donbass. (luttant contre les séparatistes)

En outre, le 16 décembre 2021, lors d’une conférence de presse à Bruxelles après une rencontre avec le Président ukrainien Volodomyr Zelensky, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg affirmait :

« Nous ne ferons aucun compromis sur le droit de l’Ukraine à choisir sa propre voie, sur le droit de l’OTAN à protéger et à défendre tous ses membres, et sur le fait que l’OTAN a un partenariat avec l’Ukraine »

..venant conforter les déclarations un peu plus tôt des chefs d’Etat de l’Union Européenne réunis à Bruxelles.

« Toute nouvelle agression contre l’Ukraine aura des conséquences lourdes et un coût élevé en réponse »

C’est dans ce contexte que V.Poutine a présenté, le 17 décembre 2021, deux traités de revendications de sécurité, qui comprenaient notamment :

      • Le retrait des demandes d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN
      • Stopper tout nouvel élargissement de l’OTAN vers l’Est
      • L’installation de base américaine devrait être proscrite dans les pays de l’ex URSS qui ne sont pas encore dans l’OTAN
      • Stopper tous les exercices de coopération en Europe orientale et dans le Caucase (notamment avec la Géorgie et l’Ukraine)
      • Ne pas déployer de missiles intermédiaires et à courte portée là où ils peuvent toucher le territoire de l’autre camp

Et le point certainement le plus « intriguant », dans son « Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des Etats membres » à l’article 4 , la Russie exige qu’aucun renforcement des forces militaires et d’armements ne soit effectué en dehors des pays qui formaient l’Alliance au 27 mai 1997… sauf consentement de toutes les parties pour éliminer une menace sur la sécurité d’une ou de plusieurs parties.

Autrement dit, cette mesure s’appliquerait à tous les pays de l’OTAN post 1997, soit la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Albanie, la Croatie, le Montenegro et la Macédoine du Nord.

On peut comprendre qu’un certain nombre de dirigeants occidentaux et de hauts représentants de l’Union Européenne, à l’image de Josep Borell, aient qualifié ces demandes « d’inacceptables », notamment à deux semaine d’une rencontre entre le Président américain, Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine, excluant implicitement l’Union Européenne de ce dialogue..

De leur côté, les Américains, craignant une escalade affirmaient être prêt à avoir un dialogue diplomatique avec la Russie dès janvier 2022 à Genève concernant ses craintes de sécurité mais pas sans conditions.

Dans une allocution du 23 décembre 2021, V.Poutine saluait cette attitude.

Contre toute attente, le 24 février 2022, V.Poutine ordonnera officiellement son « opération militaire spéciale » !

Ce n’est pas la première fois que la Russie invoque des « craintes » [fondées ou non] au sujet de l’élargissement de l’OTAN.

[Nous ne développerons pas dans cet article ce sujet complexe du bien-fondé ou non de ces craintes, qui relèvent généralement de deux visions opposées du monde, d’un côté la thèse d’un OTAN qui n’a vocation qu’à défendre et de l’autre un OTAN aux ambitions impérialistes]

L’effondrement de l’URSS et les débâcles successives de la Russie sur la scène internationale dans les années 1990-2000 ont laissé un goût amer à V.Poutine qui vit cela comme une humiliation, d’autant avec le renforcement de l’OTAN et l’adhésion de 14 pays entre 1999 et 2020, dont certains historiquement sous influence russe.

On se souvient de son discours de 2007 à Munich, l’attaque en règle à l’endroit des Etats-Unis, « le non-respect du droit international », « l’extension de bases militaires américaines en Europe » (Roumanie), « le monde unipolaire », et finalement l’adhésion d’anciens pays signataires du Pacte de Varsovie (dissout en 1991) que V.Poutine considère comme une trahison d’une promesse faite entre les Etats-Unis, James Baker, secrétaire d’état américain et Mikhaïl Gorbachev, dirigeant de l’ex-URSS.

La non-promesse d’un élargissement de l’OTAN, un mythe

Le débat à ce sujet est longtemps resté ouvert mais depuis la déclassification de transcriptions américaines et de nombreux documents allemands, russes, français et anglais, la thèse soutenue d’une promesse faite aux russes de ne pas s’étendre à l’Est a été définitivement démentie.

D’autres sources sont disponibles via les liens suivants : ici et ici

En outre, Mikhaël Gorbachev lui-même a déclaré que la question d’un développement à l’Est n’a absolument pas été discuté.

« La question de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été examinée, et elle n’a pas été évoquée durant ces années. Je le dis de manière pleinement responsable. Pas un seul pays d’Europe orientale n’a soulevé la question, pas même après que le Pacte de Varsovie eut cessé d’exister, en 1991. Les dirigeants des pays occidentaux ne l’ont pas soulevé non plus.

Un autre enjeu que nous avons mis sur la table a été de garantir que les infrastructures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas et que des forces armées additionnelles ne seraient pas déployées sur le territoire de ce qui était alors la RDA. L’affirmation de Baker a été faite dans ce contexte… Tout ce qui a pu être fait et tout ce qui devait être fait pour concrétiser cette obligation politique a été fait. Et respecté. »

L’OTAN précisera également qu’en 1997, Bill Clinton a invariablement refusé la proposition de Boris Eltsine relative à un accord sur l’honneur stipulant qu’aucune des anciennes républiques soviétiques n’adhérerait à l’OTAN.

« Je ne peux pas prendre d’engagements pour le compte de l’OTAN, et ce n’est pas moi qui vais opposer un veto à l’élargissement de l’OTAN s’agissant de n’importe quel pays, et encore moins vous laisser, à vous ou à quelqu’un d’autre, le loisir de le faire… L’OTAN fonctionne par consensus. »

Au sujet de cet élargissement, il est également possible de lire la publication « The Myth of a No-NATO-Enlargement Pledge to Russia » de Mark Kramer.

Demandes d’adhésion des pays de l’ancien Pacte de Varsovie à l’OTAN

Ce sont bien d’anciens pays membres de l’ex-URSS et du Pacte de Varsovie qui sont venus frapper avec insistance à la porte de l’OTAN dès 1991 après avoir vécu plus de 40 ans sous le joug de la domination Russe.

La confiance était largement consommée vis-à-vis de Moscou et les populations craignaient que l’influence russe et son impérialisme ne soit ravivé.

Et pour cause, et pour illustrer cette crainte avérée, l’exemple de la Transnistrie (Moldavie) en 1992 ou les russes justifieront leur ingérence et leur intervention militaire au nom de la défense de russophones qui rappelle étrangement l’alibi qu’elle utilisera également avec les russophones du Donbass dès 2014 ou plus tôt en Géorgie avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie en 2008..

[Pour rappel, la population russophone est celle qui a subi le plus de pertes civiles et dégâts matériels liées au bombardement par la Russie depuis le 24 février 2022]

La guerre en Tchétchénie [1994-1996] viendra davantage conforter les Pays de l’Est, voisins de la Russie, d’intégrer rapidement l’OTAN.

Quel était le point de vue de l’OTAN ?

L’Occident n’a pas tout de suite accepter ces demandes par « crainte » des réactions de Moscou, néanmoins dès 1991 plusieurs programmes de coopération entre l’OTAN et les pays non-membres verront le jour.  C’est le cas, entre autres, du CCNA (Conseil de Coopération Nord Atlantique), du Partenariat Pour la Paix (PPP) développé en 1994 auquel adhérerons successivement une trentaine de pays dont l’Ukraine, ou encore du Plan d’Action Individuel pour le Partenariat (IPAP).

« Les IPAP ont été lancés lors du sommet de Prague de novembre 2002. Le 29 octobre 2004, la Géorgie est devenue le premier pays à avoir conclu un IPAP avec l’OTAN. L’Azerbaïdjan a conclu son premier IPAP le 27 mai 2005 et l’Arménie le 16 décembre 2005. Le 31 janvier 2006, le Kazakhstan en a fait autant, ainsi que la Moldavie, le 19 mai 2006, et deux pays des Balkans en 2008 : le Monténégro en juin et la Bosnie‑Herzégovine en septembre. »

L’Ukraine n’en faisait donc pas partie lors du cinglant discours de V.Poutine en 2007 à Munich, mais un processus de dialogue était engagé.

C’est au sommet de Bucarest en Avril 2008 que Washington, par l’intermédiaire et sur l’insistance du Président George W Bush, que la proposition sera faite d’offrir un plan d’action d’adhésion de l’Ukraine, mais la France et l’Allemagne y poseront leur véto ayant compris que ce serait une « ligne rouge » pour le Kremlin.

Malgré ce véto Français et Allemand, l’ensemble des nations au sein de l’OTAN soutiendront la candidature de l’Ukraine (et de la Géorgie) au plan d’action pour l’adhésion (MAP).

Seulement trois mois après, en août 2008, la Russie envahie une partie de la Géorgie qui conduira à une guerre éclair meurtrière et qui débouchera sur la proclamation d’indépendance de l’Ossétie du Sud occupée par les forces russes et l’Abkhazie.

Cette intervention militaire armée marquera le « gel » de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN.

Puis vint 2013, Maïdan suite à la volteface du président pro-russe V. Ianoukovitch qui rejettera un accord d’association avec l’Union Européenne au profit d’un rapprochement à la Russie, ce malgré les promesses faites au peuple lors de son élection de 2010.

Dans la foulée de cette révolution, V.Poutine annexera illégalement la Crimée par l’intermédiaire de ses forces armées, devant un Occident incrédule qui ne réagira pas (si ce n’est avec des sanctions économiques), ce qui viendra entérinée, pour de nombreuses années, les espoirs ukrainiens d’une adhésion à l’OTAN et marquera le début d’un long conflit orchestré par les séparatistes russes dans le Donbass.

Une vision Russe déformée ?

Côté russe, on affirme que l’annexion de la Crimée et plus tard l’invasion de l’Ukraine ne sont qu’une réponse aux velléités expansionnistes de l’OTAN et que la Russie avait prévenu de cela de longue date.

On serait tenté de se demander si effectivement l’élargissement de l’OTAN n’a pas été vécu comme une provocation par la Russie, ce même si l’Occident prône une alliance défensive.

Mais, arrêtons-nous un instant sur les faits historiques :

L’ensemble des Pays de l’ex-URSS ont vigoureusement demandé leur adhésion à l’OTAN, et pour la plupart d’entre eux, dès l’effondrement de l’URSS.

Pourquoi ?

Parce que ces nations ont longuement vécu sous la domination de l’Empire russe. Ces populations ont été historiquement et durement réprimées par le pouvoir russe comme en témoigne l’histoire de chacune de ces nations.

Les Etats Baltes, la Pologne, la Finlande mais aussi la Hongrie, la Géorgie, la Moldavie, tous ont connu le violent impérialisme russe.

Le pacte germano-soviétique, le massacre de katyn, le printemps de Prague, la guerre d’hiver, l’insurrection de Budapest, l’annexion Géorgienne, la guerre du Dniestr…autant d’évènements qui traduisent le passé douloureux de la relation de ces Etats avec Moscou.

Il n’est donc pas surprenant de les retrouver pour la plupart aujourd’hui en tête de file des nations qui soutiennent indéfectiblement l’Ukraine. Non seulement par solidarité, mais aussi par craintes d’un impérialisme russe ressuscité.

En témoigne ce graphique sur les donateurs en fonction du PIB :

Rappelons finalement une date : 5 décembre 1994 – Mémorandum de Budapest

A la suite de l’effondrement de l’URSS [1991], les Etats-Unis et les autres grandes puissances sont préoccupées par le fait que 4 anciennes républiques socialistes devenues indépendantes possèdent l’arme nucléaire (Russie, Ukraine, Kazakhstan, Biélorussie)

Les Etats-Unis trouveront un accord avec la Russie par lequel l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan devront renoncer à la possession d’armes nucléaires sur leur sol et s’engagent à rejoindre le Traité de non-prolifération des armes nucléaires.

L’Ukraine, déjà clairvoyante et méfiante à juste titre, réclamera également une compensation financière et une garantie de sécurité et de protection de ses frontières.

C’est ainsi que les trois pays renoncèrent à leur arsenal nucléaire qui sera transféré à la Russie. [Certainement la plus grande erreur que l’Ukraine a commise à en juger par la situation depuis le 24-02-2022]

Ukraine : bien plus qu’un élargissement de l’OTAN pour les Russes

L’Ukraine est la parfaite illustration de cette oppression russe, depuis des siècles, elle a été sous le joug de l’Empire, elle a connu une russification comme nous l’avons expliqué dans notre article sur la langue ukrainienne ou celui sur la création d’un état toujours empêché, celle-ci a invariablement été agressée, terrorisée, déportée, jusqu’à nier sa culture, sa langue, ses origines, etc.

Ukraine – Berceau de la civilisation Slave

L’Ukraine n’est pas une terre comme les autres pour les russes, pour V.Poutine et ses proches collaborateurs, il est impossible de reconnaitre l’Ukraine comme un état souverain, une nation à part entière, (d’autant que celle-ci souhaite définitivement tourner le dos à son passé soviétique) ce serait comme être amputé de ses racines, car nous l’avons déjà exprimé au travers de nos articles, l’Ukraine est le berceau des civilisations slaves, et elle a longuement précédé la Russie.

Ukraine – Aux origines du christianisme orthodoxe

Elle est également le berceau du christianisme orthodoxe et il est inimaginable pour Moscou d’être séparé du territoire sur lequel le christianisme a donné naissance à l’orthodoxie. On constate bien aujourd’hui l’importance que cela revêt depuis la séparation du Patriarcat de Constantinople et celui de Moscou.

Le poids politique, non avoué, des institutions religieuses est colossal et il est inacceptable pour Moscou de se voir amputer d’une partie conséquente de ses fidèles et de son influence extérieure directement liée à celle du Kremlin.

Pour Moscou, il s’agit également d’une bataille contre la perte du patrimoine matériel, dont la célèbre « Laure des Grottes de Kiev » qui rappelons le, précède la construction de Moscou dans l’histoire.

Ukraine/Russie – Peuple frères ?

Dans les médias, sur les plateaux, nombreux sont les spécialistes ou les commentateurs à évoquer Ukrainiens et Russes comme un peuple frère, V.Poutine lui-même suggère « nous sommes un seul peuple ».

Qui voudrait d’un frère qui vous refuse depuis des siècles votre liberté d’être, votre égalité, votre langue, votre culture, votre désir d’émancipation ?

S’il est vrai qu’ils partagent des origines communes, l’histoire n’est pas aussi simple que le récit russe souhaiterait le dire.

A travers les époques, ces deux nations se constituées dans des conditions distinctes, et ont été confrontés à des forces d’influences extérieures différentes, ce qui a constitué le départ d’oppositions culturelles, politiques et sociales et a contribué également à la naissance de langues distinctes.

En effet, vers 1237 et l’invasion des Mongols sur les principautés de la Rous’ récemment dissoutes, les populations fuirent ou seront réduites à l’esclavage. Alors que la population russe restera près de trois siècles sous influence de la Horde d’Or et sera profondément marquée par cette période de son histoire (Administration, armée, commerces jusqu’à certains éléments de langage, installation de population musulmane, etc.), les Ukrainiens (et les Biélorusses) passeront bientôt sous domination polono-lituanienne après que cette alliance eut défait les Mongols, puis annexé Kiev et finirent par se partager la Volhynie et la Galicie. Le Sud de l’Ukraine restera sous l’autorité du Khanat de Crimée et de l’Empire Ottoman.

L’Ukraine connaitra alors une période d’occupation polonaise à travers laquelle s’ensuivit les mouvements Cosaques qui viendront redessiner les influences russo-polonaises à l’issue du Traité d’Androussovo. L’hetmanat cosaque de la rive gauche ira à la Russie et celui de la rive droite reviendra à la Pologne.

Ainsi, l’Ukraine connaitra une influence européenne forte au contraire de la Russie.

La période des Hetmans Cosaque sera particulièrement révélatrice de l’écart des « mentalités » et des aspirations entre ukrainiens et russes. Alors que ces derniers seront assujettis à des régimes tsaristes autoritaires, les cosaques d’Ukraine (Zaporogues) se battaient et revendiquaient leur liberté. Les Ukrainiens d’aujourd’hui sont très ancrés dans cette phase de leur histoire.

De même que les mouvements nationalistes ukrainiens du XVIIIème siècle marqueront un tournant dans l’histoire ukrainienne. Voir ici notre sujet sur l’Etat ukrainien et la chronologie à travers laquelle nous avons tenté de restituer les dates clés au long des siècles.

En outre, les russes n’ont jamais connu que le diktat, la Russie s’est fondée sur la construction d’un Empire (brutal), avec des figures autoritaires centrales, Ivan le Terrible, l’Empereur Pierre Ier le Grand, l’Impératrice Catherine II, le Tsar Nicolas II..puis sous l’URSS, avec Lénine, Staline et finalement aujourd’hui avec la Russie de Poutine.

Au contraire, l’Ukraine, même inlassablement colonisée, largement opprimée et sous domination d’un empire extérieur, n’a pas connu une figure autoritaire (poursuivant le même dessein) suffisamment longtemps au sein des frontières qu’on lui connait aujourd’hui, pour enraciner cette approche despotique dans les populations. La vie d’un ukrainien n’était pas identique sous domination russe et polonaise, les règles politiques étaient différentes, le degré d’influence et d’oppression également. Quand bien même l’autorité fût installée un certain temps, le régionalisme était plus fort, en résultait inévitablement une résurgence nationaliste ukrainienne.

L’Ukraine a sensiblement toujours été une Ukraine Européenne, « démocratique » contrairement à la Russie qui a choisi la voie de l’autoritarisme.

La Russie est ancrée dans son passé colonial, la Grande Russie [l’Empire Russe]. La population est complètement subordonnée à un dirigeant qui fait figure de guide, la pensée critique, l’autonomie, la prise de conscience individuelle et collective est découragée et sévèrement réprimée par le pouvoir.

De plus, la Russie est un très vaste pays comprenant de nombreuses ethnies, en Ukraine, si il existe des minorités ethniques, la plus grande majorité de la population est représentée par les ukrainiens (75%).

« Les mots de Poutine ont un sens, il faut l’écouter »

Nombreux sont ceux (les spécialistes, ou les russophiles qui souhaitent justifier cette guerre et ces atrocités), qui a postériori, disent qu’il fallait écouter Poutine, que ces déclarations ont toujours été claires au sujet de l’Ukraine.

Si on ne peut pas nier les mises en garde répétées de V.Poutine au sujet de l’Ukraine, que fallait-il faire alors ?

      • Considérer l’Ukraine comme un Etat vassal de la Russie ?
      • Lui refuser sa souveraineté ?
      • Acter qu’elle serait un état tampon ? (Nous en feront un prochain article)
      • Fermer les yeux sur l’ingérence russe et le conflit armé à l’Est ?
      • etc.

L’Ukraine n’est pas sortie de plusieurs siècles d’asservissement de l’Empire Russe puis du joug soviétique pour acquérir son Indépendance en 1991 et finalement accepter d’être vassalisée et progressivement ethniquement remplacée au XXIème siècle à l’aune des résurgences impérialistes russe.

Pour revenir à la question de l’OTAN, sa « charte » est claire au sujet des nations, « chaque pays souverain a le droit de choisir les arrangements de sécurité qu’il souhaite pour lui-même ».

La Russie a elle-même souscrit à ce principe de sécurité européenne en signant l’Acte fondateur OTAN-Russie qui prévoit notamment « le respect de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de tous les États et de leur droit inhérent de choisir les moyens d’assurer leur sécurité ».

Si les mots de Vladimir Poutine ont réellement un sens, et « qu’il dit ce qu’il fait » comme on l’entend souvent, alors il devrait également être possible d’expliquer cette déclaration :

« Nous n’avons pas dans nos plans une occupation des territoires ukrainiens, nous ne comptons imposer rien par la force à personne »

24 février 2022. V.Poutine

Finlande et Suède dans l’OTAN

Vladimir Poutine qui craignait tant l’élargissement de l’OTAN a non seulement accéléré son élargissement mais a également fait naitre ou raviver dans certaines nations Européennes historiquement neutre la volonté d’y adhérer rapidement.

La Finlande intégrera donc l’organisation le 04 avril 2023 et viendra de facto agrandir de 1340km la frontière entre la Russie et un Etat membre de l’OTAN !

Ce qui accroit encore un peu plus l’encerclement de la mer Baltique et vient renforcer militairement l’alliance.

La Suède, quant à elle devra encore attendre un peu et trouver un compromis dans son conflit avec la Turquie qui bloque son entrée.

OTAN « en mort cérébrale »

Et pourtant, en 2019, dans le contexte de la guerre en Syrie, le Président Emmanuel Macron déclarait au sujet de l’OTAN devant son inefficacité à coordonner ses membres et à imposer la paix.

« Ce qu’on est en train de vivre, c’est pour moi la mort cérébrale de l’OTAN… »

Une formule tantôt jugée honnête par certains représentants d’états, tantôt précipitée pour d’autres.

Maria Zakharova, diplomate russe avait elle-même jugée ses propos d’honnête sur la situation de l’OTAN.

Vladimir Poutine a donc réussi l’exploit de faire renaitre l’OTAN et d’accélérer son élargissement alors que selon lui, la guerre en Ukraine est principalement motivée pour cette raison…

Crimée 2014 VS Ukraine 2022

Si l’OTAN et l’Europe n’avait pas su réagir comme il se devait en 2014, qui a permis à Vladimir Poutine de conforter sa décision d’annexion de la Crimée et d’asseoir un peu plus son influence internationale, c’est exactement le contraire qui s’est produit en 2022 lors de sa décision unilatérale d’envahir illégalement un pays souverain.

Sans doute V.Poutine avait-il préjugé d’une Europe trop faible pour réagir, face aux enjeux énergétiques notamment [NordStream] et d’un OTAN encore crispé par l’intervention en Syrie et l’annexion de la Crimée.

En témoigne ce communiqué très révélateur mis en ligne 3 jours après l’invasion par l’agence de presse officielle russe RIA Novosti qui décrit « l’avènement de la Russie et du nouveau monde »

Sans doute également avait-il préjugé de la résistance ukrainienne, de son nationalisme renforcé depuis l’annexion de la Crimée en 2014.

Les Russes s’attendaient à être accueillis à bras ouvert par la population russophone, mais c’est exactement le contraire qui s’est passé.

A l’image du renforcement de l’OTAN et des Etats membres de l’Union Européenne, V.Poutine n’a fait que renforcer le sentiment national ukrainien, y compris et dans sa très large partie chez les russophones de l’Est, du Nord au Sud, de Kharkiv à Odessa..

Il a accéléré un peu plus la ré-ukrainisation de l’Ukraine après l’avoir longuement russifiée, il a permis l’adoption de la langue ukrainienne par la majorité, il a contribué au soutien et à la solidarité européenne avec le peuple ukrainien, ce faisant il a permis au monde de découvrir l’Ukraine et le courage de son peuple, et il également fait naitre le symbole d’un dirigeant courageux et résistant*, (pour beaucoup un héros), alors qu’il le moquait..

*On se rappellera la phrase de V.Zelenski à l’invitation de Biden d’être exfiltré « Je n’ai pas besoin d’un taxi, j’ai besoin de munitions »

Adhésion OTAN : Quel est le sentiment Ukrainien ?

Finalement, rappelons que si l’opinion publique ukrainienne est majoritairement favorable à l’adhésion de l’OTAN dans un sondage du KIIS de 2021, à hauteur de 59,2% des voix, celle-ci ne l’a pas toujours été.

Dans les années 1990, seulement 37% de la population y était favorable.

En 2008, malgré la demande d’adhésion du gouvernement, la population sera quant à elle majoritairement en faveur de la tenue d’un référendum sur le sujet. 57,8%

De 2014 à 2019, la part de la population était sensiblement stable, avec un petit regain en 2014 avec l’annexion de la Crimée.

Néanmoins, dès 2017, le Parlement ukrainien a adopté une loi en vertu de laquelle l’adhésion à l’OTAN est redevenue un objectif stratégique de la politique étrangère et de sécurité du pays. L’amendement qui inscrit cet objectif dans la constitution ukrainienne est entré en vigueur en 2019.

Enfin, en 2022, dans le contexte des tensions et des négociations qui avaient lieu avec la Russie pour stopper le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, la population était interrogée sur l’acceptabilité de ne pas adhérer à l’OTAN en contrepartie de garanties de sécurité.

42% de la population considérait acceptable de recevoir des garanties de sécurité des pays de l’OTAN sans y adhérer, alors que 39% d’entre-elle pensait que c’était la seule solution d’assurer sa sécurité.

Autrement dit, à l’image de l’élargissement de l’OTAN provoquée par V.Poutine, intégrant dorénavant la Finlande et prochainement la Suède, on constate à travers ces sondages, que c’est bien la politique d’influence agressive et les menaces répétées du gouvernement russe à l’endroit de l’Ukraine, qui a conduit à ce que la majorité de la population ukrainienne souhaite elle aussi adhérer à l’OTAN.

Une fois n’est pas coutume, nous n’allons pas résumer les faits à travers un tableau comme nous en avons l’habitude en fin d’article, mais nous allons émettre une conclusion sur le sujet.

Conclusion

Vladimir Poutine n’est pas intervenu en Ukraine à cause de l’élargissement de l’OTAN, qu’il a lui-même précipité en 2023 avec l’adhésion de la Finlande et bientôt la Suède.

Bien qu’elle ait reçu en 2008 la confirmation que les Etats de l’alliance soutenaient sa candidature au plan d’action pour l’adhésion (MAP), force est de constater que l’Ukraine ne fait toujours pas partie de l’OTAN..

L’adhésion des pays de l’Europe de l’Est a systématiquement été le produit de l’URSS, en témoigne le soutien accru de ces nations à l’Ukraine et les déclarations de ces dirigeants.

Le processus d’adhésion de la Suède et de la Finlande avant 2023, bien plus avancé que celui de l’Ukraine n’a pas justifié une invasion par la Russie malgré les 1’340km de frontière commune entre la Finlande et la Russie.

L’invasion de l’Ukraine n’est que la résultante d’une crainte et d’une ambition de longue date, celle de voir l’Ukraine se tourner définitivement vers l’Europe et par voie de conséquence celle de « récupérer » les terres d’Ukraine que la Russie considère [à tort] comme ses terres historiques.

L’Ukraine est au cœur de la propagande russe démesurée depuis longtemps, car elle touche à l’identité russe, c’est la différence avec tous autres états frontaliers de la Russie.

Les discours de Poutine, Medvedev ou encore Tolstoï ne laisse aucun doute à ce sujet.

2004 V. Poutine à la secrétaire américaine, Condoleeza Rice au sujet de l’Ukraine

« C’est à nous, ne l’oubliez jamais »

07-04-2008 V. Poutine – Propos rapportés d’une rencontre avec George W.Bush, Kommersant

« Tu comprends George que l’Ukraine n’est même pas un état ! Qu’est-ce que l’Ukraine ? Une partie de son territoire est en Europe de l’Est, et une autre, et pas des moindres, nous a été offerte ! »

 05-04-2022 D. Medvedev

« L’ukrainisme profond, alimenté par le venin antirusse et le mensonge total sur une pseudo identité, est un immense fake. Ce phénomène n’a jamais existé dans l’histoire. Il n’existe pas non plus aujourd’hui. »

 24-06-2022 P. Tolstoï

« Au cours des vingt dernières années, on a fait croire aux Ukrainiens qu’ils ne faisaient pas partie de la Russie. Il va falloir vingt ans pour leur faire admettre le contraire. »

Voir aussi notre article « L’Ukraine n’aurait jamais existé en tant qu’Etat-nation ? »

A travers cette guerre et ces nouvelles conquêtes de territoires annexés, la Russie de V.Poutine ne cache plus ses ambitions impérialistes et son désir de revanche face à l’Occident. Il souhaite instaurer un Nouvel Ordre Mondial dans la négation d’Etats souverains géographiquement plus petit et en apparence moins puissants.